Projet Pieux Bois

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Sommaire

Historiques des fondations sur pieux en bois

Si les fondations superficielles existèrent de tout temps lorsque l’Homme décida de construire, l’histoire des fondations en « mauvais sol » est plus révélatrice des évolutions. Les premières civilisations lacustres eurent besoin dès le néolithique, pour fonder leurs cités de pilotis en bois sans aucun doute battus à la force humaine. Une des plus vieilles références se trouve dans la Bible par une évocation des pieux en cèdre employés à Babylone.

Plus près de nous, les celtes de la civilisation de la Tène employaient cette technique pour construire des ponts comme à Cornaux (Suisse) où un ouvrage d’environ 2,8 m de large et  90 m de long fut trouvé. La datation dendrochronologique d’un pieu indique une construction vers 300 av. J.-C. et les restes d’un chariot une destruction après 93 av. J.-C.  Deux rangées de pieux de chêne de 20 cm de diamètre distantes de 2,4 m étaient renforcées par des pieux obliques formant contrefort de chaque côté. La distance entre les seize à vingt piles variait de 4,5 m à 5 m. Les longerons qui reliaient les piles portaient un tablier large d’environ 3 m constitué de rondins entrecroisés sur deux couches, recouvert de branchages, lestés par de grosses pierres qui ont été retrouvées dans la couche de destruction (V. Kruta, Les celtes, Ed. Robert Laffon).

L’amélioration des techniques et leur systématisation fut sans aucun doute l’œuvre des ingénieurs romains. On trouve dans « Bella gallica » de Jules César une description du pont sur le Rhin entre Coblence et Cologne en 55 av. J.-C. (Bellum Gallicum, IV,17) (figure 1). « Voici le nouveau procédé de construction qu’il employa. Il accouplait, à deux pieds l’une de l’autre, deux poutres d’un pieds et demie d’épaisseur, légèrement taillés en pointe par le bas et dont la longueur était proportionnées à la profondeur du fleuve. Il les descendait dans le fleuve au moyen de machines et les enfonçait à coup de mouton, non point verticalement, comme des pilotis ordinaires, mais obliquement, inclinés dans la direction du courant ; en face de ces poutres, il en plaçait deux autres, jointes de même façon, à une distance de quarante pieds en aval et penchées en sens inverse du courant. Sur ces deux paires on posait des poutres larges de deux pieds, qui s’enclavaient exactement entre les pieux accouplés, et on plaçait de part et d’autre deux crampons qui empêchaient les couples de se rapprocher par le haut ; ceux-ci étant ainsi écartés et retenus chacun en sens contraire, l’ouvrage avait tant de solidité, et cela en vertu des lois de la physique, que la violence du courant était grande, plus le système était fortement lié. On posait sur les traverses des poutres longitudinales et, par dessus, des lattes et des claies. En outre, on enfonçait en aval des pieux obliques qui, faisant contrefort, appuyant l’ensemble de l’ouvrage, résistaient au courant ; d’autres étaient plantées à une petite distance en avant du pont : c’était une défense qui devait, au cas où les Barbares lanceraient des troncs d’arbres ou des navires destinés à le jeter bas, atténuer la violence du choc et préserver l’ouvrage. » On ignore le régime du Rhin dans la région considérée mais on peut  estimer que sa largeur avoisinait 400 à  450 m, sa profondeur 5 à 6 m et sa vitesse 1,40 à 1,70 m/s. Le pont qui comportait 12 travées a été construit selon César en … dix jours. Les techniques celte ou romaine sont donc très similaires.

        

Figure  1 :  Reconstitution des fondations sur pieux du pont sur le Rhin (Atlas de Napoléon III) et mode de mise en place (musée de la civilisation romaine - Rome)

 Mais c’est dans De Architectura écrit par Vitruve, contemporain d’Auguste, que l’on trouve les premières traces écrites de « règles de dimensionnement » qui perdureront jusqu’à la révolution industrielle (livre III chapitre III de la traduction que Claude Perrault réalisa pour Louis XIV en 1673). « Il faut que les Fondemens foient creusez dans le folide, ou jufqu’au folide autant que la grandeur de l’Édifice le requiert. (...) Que fi on ne peut aller jufqu’à la terre ferme, & que l’on pourra, y ficher des Pali Sublica  (Pilotis) de bois d’aune, d’olivier ou de chefne un peu bruflez & les enfoncer avec des machines fort près à près : enfuite emplir de charbon les entre-deux des pilotis & baftir dans toute la tranchée qui aura efté creufée , une maçonnerie tres solide. » On voit ici que les dispositions constructives des fondations profondes sont esquissées.

Bélidor au XVIIIème siècle préconisait dans « Science des Ingénieurs » d’utiliser également des pieux en bois tout en améliorant la liaison avec la superstructure par des voûtes de décharges pesant sur le sol.

Il ajoute que l’ « On doit proportionner le nombre de ces pilots à la charge qu’on leur donne à porter comme à la nature plus ou moins consistante du sol. » Plus tard, Rondelet précisera les différents types de fondations intégrant des pieux en bois en décrivant  le radier et la fondation mixte.

Cette technique fut encore utilisée jusqu’au XIXième siècle et on ne compte plus les ouvrages du patrimoine bâti français classés patrimoine national ou monuments historiques fondés sur pieux en bois : château de Chambord, Grand Palais, corderie royale de Rochefort, bâtiments, nombreux ponts routiers dans les villes Françaises et ponts ferroviaires.

Figure 2 : Pont Wilson à Tours, 1978. Effondrement du tablier dû à un affouillement des piles.

Dans le contexte urbain moderne où des rabattements de nappe sont réalisés de manière inconsidérée ou involontaire (parfois conséquence des sècheresses successives induites par le réchauffement climatique), les pathologies des bâtiments des centres urbains anciens, des monuments historiques et des ouvrages de franchissement routiers ou ferroviaires comme les ponts en maçonnerie sont principalement dues au pourrissement du bois de leurs fondations lorsque celles-ci sont soumises à des alternances de sècheresse et d’humidité (Klaassen, 2008a ; Bjordal et al., 2000). Le bois est également attaqué par les animaux (notamment les tarets), d’où nécessité d’une protection efficace (avec des produits polluants comme le créosote), l’enduit superficiel au goudron étant insuffisant (arrachement pendant le battage). Les fondations doivent alors le plus souvent être renforcées par l’ajout de nouveaux supports. 

 

Motivations du projet PieuxBois

Il s’agit bien de la technique de fondation profonde dont nous possédons les preuves de la plus grande antériorité et pour certains ouvrages de la plus grande longévité (plus de 2500 ans) comparativement aux pieux en acier ou en béton et pour laquelle le cadre réglementaire est inexistant sur le territoire français. Seuls des pays comme les Pays Bas avec la NEN 5491, le Canada avec le Canadian Foundation Engineering Manuel écrit sous l’impulsion de la Canadian Geotechnical Society ou aux États-Unis d’Amérique avec le Timber Pile Design and Construction Manual publié par l’American Wood Preservers Institute ont mis en place un cadre réglementaire adapté. Actuellement 200.000 pieux en bois non traités sont mis en œuvre annuellement aux Pays Bas et tout récemment le British Research Establishment a réalisé une étude sur le potentiel des pieux en bois sur le territoire du Royaume Uni et a conclu à la viabilité technique et économique de ce produit en insistant sur son intérêt environnemental indéniable (Dewar et Watson, 2007 ; Reynolds et Bates, 2009) car contrairement aux autres techniques la fabrication du pieu est plus consommatrice de CO2que génératrice. En effet, les  32 millions de pieux  présents dans le sol des Pays Bas sont équivalents à  8 millions de tonnes de CO2extraits de l’atmosphère (Klaassen, 2008b). Pour ce calcul, les dimensions caractéristiques d’un pieu sont 10 mètres de longueur et  25 cm de diamètre, 1 m³ de bois sec pèse 500 kg et  1 g de bois sec est équivalent à 1 g CO2.

Malgré un parc français important d’ouvrage bâtis sur pieux bois, le retour d’expérience est faible et non capitalisé sur la portance résiduelle et la dégradation de ces ouvrages. On citera à titre d’exemple le choc vécu lors de l’effondrement du pont de Tours dû à la dégradation des pieux consécutive au creusement du lit par extraction des matériaux entraînant l’abaissement du niveau d’eau de la Loire.Choc qui n’a pas été vraiment suivi de développement d’expertise durable (SETRA-LCPC, 1980).

 

Proposition et organisation du projet PieuxBois

Dans le cadre de l’appel à projet C2D2, le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (devenu par la suite IFSTTAR) accompagné du laboratoire du bois LERMAB de l’ENSTIB (École Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois) d’Épinal et de la scierie Grouazel, du bureau de contrôle Batiplus et du bureau d’architecture Cartignies Canonica, a déposé un projet ayant pour ambition de redonner ses lettres de noblesse à cette technique.

Le contexte du projet est d’un côté celui d’une expertise scientifique et technique quasi-inexistante actuellement sur la scène nationale et d’un autre celui d’une expertise internationale mature tournée vers des problématiques différentes de celles intéressant le territoire français. Le projet devait donc créer les conditions nécessaires à l’émergence de cette expertise nationale sur le dimensionnement et la durabilité des pieux bois, au cours ou à la suite du projet. De plus, ce projet trouvait parfaitement sa place dans la « croissance verte » prônée par le MEDDE par le faible coût énergétique de la technique étudiée.

La démarche choisie pour arriver à cet objectif a été de mettre en œuvre des approches pluridisciplinaires : approche mécanique et approche physico-chimique des sols et du bois en interaction avec l’eau mais également étude de l’aspect socio-économique et étude du risque, générant ainsi des acquis de connaissances scientifiques au profit d’une aide à la décision et au dimensionnement (American Wood Preservers Institute, 2002 ; Bustamante et Gianeselli, 1981 ; Bustamante et Jézéquel, 1989 ; MELT, 1993 ; Dewar et Watson, 2007).

L’étude combinée des processus fondamentaux et l’étude sur sites réels et expérimentaux (incluant mesure et surveillance) ont été les points forts du projet mais les avancées en découlant ont conduit également à une meilleure maîtrise du comportement mécanique et physico-chimique et des risques par l’élaboration de méthodologies, dispositions constructives, grilles et critères aidant à établir des diagnostics de vulnérabilité des ouvrages anciens et à dimensionner des ouvrages neufs.

 

Déroulement du projet et apparition du projet en région

En cours de projet, plusieurs partenaires ont rejoint le projet en apportant leurs problématiques liés à la gestion d’un patrimoine important d’ouvrages : SNCF et GPMR ou leur volonté de proposer la technique dans leur catalogue de solutions.

Développé avec le soutien de la région Aquitaine, un projet régional a vu le jour en complément du projet C2D2. Piloté par l’entreprise de travaux Sud-Fondation filiale GTS, il a rassemblé le Centre d’Étude Technique de l’Équipement (CETE) du Sud-Ouest et son laboratoire de géotechnique (LRPC), l’université Bordeaux 1 et son laboratoire le I2M ainsi qu’un négociant, la société Boispays.

Grace à ces différents acteurs des deux projets, des expérimentations ont été menées sur les terrains du port de Rouen (Seine Maritime) et sur le site expérimental de Cubzac-les-Ponts (Gironde), portant au total sur une quinzaine de pieux (figure 3). Ceux-ci ont été instrumentés avant d’être battus, afin de tester les dispositions constructives, l’aboutage et de mesurer le frottement latéral à différentes profondeurs, et ceci dans trois types de sols (limon sable, argile). Différentes essences ont ainsi été testées.

 

Figure 3 : Mise en place des pieux sur le site de Cubzac-les-Ponts et essais de chargement sur le site de Rouen

Les résultats collectés ont été complétés par des essais de pieux issus de la bibliographie et d’une base de données américaine. Cette centaine de pieux a servi à caler les différents coefficients à utiliser dans le cadre d’une application de la norme d’application de l’Eurocode pour les fondations profondes (NF P94-262).

Les mêmes essences ont subi, en laboratoire, un processus de vieillissement accéléré avec ensemencement fongique afin de définir des lois de dégradation propres à renseigner sur l’épaisseur sacrificielle à anticiper lors d’un dimensionnement. L’évaluation du profil d’humidité dans les pieux autour de la zone de marnage a été réalisée à intervalles réguliers par une méthode non destructive de tomographie par IRM. La corrélation de la perte de masse observée avec les paramètres mécaniques en fonction de l’essence testée a permis de compléter les données de la bibliographie.

 

Retombées des projets

Grace à la démarche mise en œuvre, les projets PieuxBois ont aboutis à des rapports détaillés sur :

  • état des lieux de l’utilisation des pieux en bois en France et dans le monde, techniques de mise en œuvre et méthodes de dimensionnement (lien  vers rapport),
  • Expérimentations sur plots expérimentaux, description des expérimentations, programme d’essais, résultats détaillés (lien vers rapport),
  • Synthèse des résultats et élaboration d’une base de données, calage des coefficients de frottement latéral et de pointe dans le cadre de la norme NF P94 262 (lien vers rapport),
  • Expérimentations de dégradation de pieux en bois en présence d’attaque fongique et de cycles hydriques, mise au point des essais, résultats analyse.

Les conclusions du projet sont rapportées dans un guide de dimensionnement à l’intention des professionnels sur les fondations en pieux bois pour :

  • diagnostiquer et réparer des ouvrages du patrimoine ou des ouvrages d’art anciens (lien vers guide),
  • proposer une technique pour des applications de type parcs naturels et récréatives (pontons, quais, ponts, etc.) ou de logement individuel (chalets, maisons, etc.) et poser les bases pour l’application à des ouvrages de plus grande ampleur (lien vers document),

Ces différents documents ont été présentés lors de journées de valorisation les 11 juin 2013 à Paris la Défense et le 2 juillet 2013 à Bordeaux. Les présentations faites lors de ces journées sont disponibles ci-dessous :

Journées techniques de valorisations

Le travail de thèse réalisé dans le cadre du projet Pieux Bois a été publié dans un mémoire disponible sur le site des Thèses En Ligne à l'adresse suivante :

http://tel.archives-ouvertes.fr

 

Bibliographie choisie

  • American Wood Preservers Institute, (2002), Timber Pile Design and Construction Manual, 145 pages
  • Bjordal C.G., Daniel G., Nilsson T., (2000), Depth of burial, an important factor in controlling bacterial decay of waterlogged archaeological poles, International Biodeterioration & Biodegradation 45 15-26
  • Bustamante M., Gianeselli L., (1981), Prévision de la capacité portante des pieux isolés sous charge verticale. Règles pressiométriques et pénétrométriques BLPC 113 :83-108
  • Bustamante M., Jézéquel J.-F. (1989), Essai statique de pieu isolé sous charge axiale, Méthode d’essai LPC n°31, 12 pages
  • Canadian Geotechnical Society, (2007) Canadian Foundation Engineering Manual 4th Edition, BiTech Publishers Ltd
  • Dewar J., Watson M. (2007), Developpement of UK grown timber for industrial applications – Final report, BRE, 18 pages
  •  MELT (1993), Règles techniques de calcul et de conception des fondations des ouvrages de génie civil, CCTG, Fascicule 62 Titre V, Texte officiel N° 93-3, 182 pages
  • Fondations profondes pour le bâtiment, (1992), Norme NF-P11-212 AFNOR, Paris, 72 pages (DTU n°13.12 CSTB)
  • Klaassen R.K.W.M., (2008a), Bacterial decay in wooden foundation piles—Patterns and causes: A study of historical pile foundations in the Netherlands, International Biodeterioration & Biodegradation (61)45–60
  • Klaassen R.K.W.M., (2008b), Some specific Dutch wood end use problems and chances Conference COST E53, 29-30 October 2008, Delft, The Netherlands, 97-103
  • NEN (1991). Geotechnics –Calculation method for bearing capacity of pile foundation ‐Compression pile NEN 6743, pp.30.
  • NEN (2009) Quality requirements for timber - Piles - Coniferous timber NEN 5491
  • Reynolds T., Bates P. (2009), The potential for timber piling in the UK, Ground Engineering, 31-34
  • Reynolds T N (2003) Timber piles and foundations, BRE Construction Division, Digest 479, 12 pages
  • SETRA - LCPC  (1980), Fondations de ponts en site aquatique en état précaire - Guide pour la surveillance et le confortement, Document technique / Guide technique, 163 page(s)
     

Publications

  • Christin J., Reiffsteck P., Le Kouby A., Barthram C., Bocquet J.-F. (2012) Projet PieuxBois : construction d’un plot expérimental et instrumentation des pieux en bois, JNGG2012 Bordeaux, 641-649
  • Christin J. Le Kouby A. Reiffsteck P. Rocher-Lacoste F. (2013) Essais de chargement statique de pieux en bois instrumentés avec des extensomètres amovibles
  • 18 ICSMFE Paris